Comment le Grand Est veut devenir un leader européen de l’IA : les révélations du cluster Enact
Au-delà du buzz : une ambition structurée pour l’intelligence artificielle européenne
L’intelligence artificielle est partout. Du buzz médiatique aux promesses de gains de productivité, il est parfois difficile de distinguer l’effet de mode de la véritable révolution. Au milieu de cette effervescence, une question stratégique s’impose pour le continent : comment l’Europe peut-elle construire sa propre voie, une IA souveraine et créatrice de valeur, face aux géants américains et chinois qui dominent le marché ? Loin des discours et des déclarations d’intention, la région Grand Est a décidé d’apporter une réponse concrète. Lors du 360 Grand Est, ses acteurs clés ont dévoilé une feuille de route claire pour ne plus subir, mais pour façonner activement l’avenir technologique depuis le cœur de l’Europe.
Au centre de cette démarche se trouve Enact, le nouveau cluster régional labellisé par l’État, entièrement dédié à l’IA. Dans cet article, nous décryptons cette initiative phare et ses implications directes pour l’industrie. Nous explorerons la vision politique qui la sous-tend, son modèle collaboratif unique rassemblant universités, chercheurs et entreprises, ses applications concrètes déjà en œuvre chez des pionniers industriels, et enfin, les perspectives en matière de formation et d’excellence. Découvrez comment le Grand Est, à travers Enact, transforme une ambition européenne en une réalité industrielle tangible et accessible.
Le Grand Est affirme son ambition de souveraineté numérique
Face à une technologie qui redessine les contours de l’économie mondiale, le Grand Est a choisi une voie proactive et audacieuse. Loin de subir la vague de l’intelligence artificielle, la région a l’ambition de la façonner activement pour devenir un pôle de référence européen, porteur d’une IA souveraine, éthique et créatrice de valeur. Cette démarche n’est pas une improvisation. Elle a été initiée par la Région dès 2019, témoignant d’une vision stratégique à long terme bien avant que l’IA ne s’impose dans le débat public.
Au cœur de cette stratégie se trouve une conviction forte, parfaitement résumée par Valérie Debord, vice-présidente de la région : « quand le Grand Est est réuni, le Grand Est gagne ». Cette phrase n’est pas un simple slogan ; c’est le socle de la collaboration intense qui a permis de remporter ce succès national majeur. Cette union rassemble les universités, les centres de recherche, l’industrie et les pouvoirs publics autour d’une même table pour construire ce que Valérie Debord nomme une « vision souveraine ». L’objectif est clair : garantir une maîtrise sur les données et les technologies pour assurer l’autonomie du continent, un enjeu fondamental pour, à terme, « continuer à être libres, ensemble ».
Cette offensive a un porte-drapeau : le cluster Enact (Centre européen en intelligence artificielle par l’innovation). Il ne s’agit pas d’un projet parmi d’autres ; sa stature dépasse les frontières locales. Comme l’a rappelé Hélène Boulanger, présidente de l’Université de Lorraine, Enact est l’un des neuf projets retenus dans la stratégie nationale et le « seul cluster en intelligence artificielle de tout le quart Grand Est ». Cette reconnaissance par l’État est une consécration : elle valide des années de travail collectif et confirme que la région n’a pas seulement l’ambition d’exister en Europe, mais possède désormais les cartes en main pour mener le jeu.
Enact, un écosystème unique où la collaboration est le moteur de l’innovation
La force du collectif : universités, chercheurs et industriels main dans la main
La réussite du cluster Enact repose sur une philosophie collaborative puissante. Hélène Boulanger, présidente de l’Université de Lorraine, la résume en adaptant un adage bien connu : dans le Grand Est, « tout seul, on va nulle part, et ensemble on va plus vite et plus loin ». Cette synergie est la pierre angulaire d’un écosystème qui assume sa complexité pour adresser les défis de l’intelligence artificielle, un domaine où les compétences doivent s’agréger pour innover.
Cette union n’est pas un vœu pieux, mais un édifice solide aux fondations multi-partenariales. L’ossature académique est assurée par les deux plus grandes institutions du territoire, l’Université de Lorraine et l’Université de Strasbourg. Ce socle est renforcé par la puissance scientifique d’organismes de recherche nationaux comme Inria, Inserm, CNRS et Inrae. Une dimension cruciale est apportée par les hôpitaux universitaires de Strasbourg et Nancy, qui positionnent la santé comme un champ d’application majeur. Enfin, l’ensemble est soutenu par l’engagement des institutions publiques, de l’État à la région Grand Est, en passant par les métropoles de Nancy, Strasbourg et Metz.
Pour traduire cette force collective en résultats concrets, des structures comme les Pôles Universitaires d’Innovation (PUI) « Polaris » en Lorraine et son homologue en Alsace agissent comme des courroies de transmission vers le monde économique. L’objectif n’est pas de produire de la connaissance en circuit fermé, mais bien de la transformer en un accélérateur d’innovation pour l’ensemble des entreprises. Loin d’être un club fermé, Enact a vocation à générer un effet d’entraînement pour faire rayonner la région sur la scène européenne, car, comme le rappelle Hélène Boulanger, « tout seul, personne n’y serait arrivé ; ensemble, on y parvient ».
Un guichet unique pour accélérer la transformation IA des entreprises
Comment cette stratégie de haut niveau se traduit-elle en bénéfices concrets pour une entreprise ? La réponse d’Enact est une plateforme opérationnelle et accessible, un point d’entrée centralisé où, selon les mots d’Emmanuel Vincent, coordinateur du projet, la première étape est « d’écouter d’abord ».
L’invitation lancée aux entreprises est pragmatique : n’attendez pas d’avoir une feuille de route IA finalisée, mais « venez nous voir avec un irritant ». L’approche consiste à partir d’une problématique de terrain, d’un blocage opérationnel ou d’une opportunité inexploitée. Toute situation où l’intelligence artificielle pourrait apporter une solution devient ainsi le point de départ d’une collaboration. L’expertise sectorielle de l’entreprise est complétée par le savoir-faire technologique du cluster, et non l’inverse.
Une fois le besoin qualifié, cette interface dédiée déploie un panel complet de solutions sur-mesure pour passer de l’idée à l’action. Ce parcours peut prendre plusieurs formes :
- Renforcer les équipes via des programmes de formation continue pour les acculturer à l’IA.
- Intégrer de nouveaux talents en accueillant un stagiaire, un alternant ou en co-dirigeant une thèse doctorale (CIFRE) pour une expertise pointue.
- Lancer des collaborations de R&D pour co-développer une solution innovante répondant précisément au cas d’usage.
L’ambition est immense et s’incarne dans des objectifs chiffrés : doubler le nombre d’experts diplômés en IA pour atteindre 5000 étudiants et favoriser la création de 50 startups. Ce double objectif, axé sur le talent et l’entrepreneuriat, est conçu pour alimenter un cycle vertueux d’innovation ouverte, faisant du Grand Est un véritable terrain fertile pour l’IA appliquée.
L’IA en action, le cas concret de SEW Usocome, pionnier de l’industrie 4.0
L’ambition du cluster Enact de transformer l’IA en levier de compétitivité n’est pas un concept abstrait. Elle prend déjà vie au sein d’entreprises pionnières du territoire. L’exemple de SEW Usocome, lauréat du label « Vitrine Usine du Futur », est particulièrement parlant. Invité à témoigner, Olivier Jotz, manager processus et innovation, a offert une plongée fascinante dans la complexité de l’industrie 4.0 et le rôle désormais indispensable de l’intelligence artificielle.
Le défi de SEW Usocome est colossal : produire jusqu’à 4 000 moteurs personnalisés chaque jour, avec une bibliothèque de 7 millions de combinaisons différentes et un engagement de livraison en cinq jours seulement. « Pour nous, faire tout ce travail manuellement est tout simplement impossible », déclare Olivier Jotz. C’est dans ce contexte de personnalisation de masse et de pression temporelle que le partenariat avec l’écosystème de recherche régional, aujourd’hui incarné par Enact, révèle toute sa puissance.
Olivier Jotz détaille plusieurs cas d’usage concrets, illustrant parfaitement la transition de l’ambition à l’application :
- La maintenance prévisionnelle sur les processus. En collaboration avec des laboratoires de recherche de Nancy et Strasbourg, SEW Usocome a développé des modèles capables d’apprendre le fonctionnement nominal d’un processus complexe comme celui d’une fonderie. Compte tenu d’une variabilité quasi infinie de paramètres, l’IA permet de détecter automatiquement les dérives critiques et d’aider au diagnostic pour identifier les causes racines des défauts, ce qu’un humain seul ne pourrait pas superviser en temps réel.
- Un ordonnancement automatisé réactif. Dans le cadre d’un projet européen impulsé par l’Université de Lorraine, l’IA est utilisée pour allouer la bonne tâche à la bonne ressource. L’algorithme analyse en temps réel les délais clients et la disponibilité des machines et du personnel pour déterminer la séquence de production optimale, un casse-tête logistique résolu par la puissance de calcul.
- L’auto-optimisation des processus. L’entreprise travaille également sur une IA capable de comparer les performances des modules de fabrication en direct. L’objectif : identifier automatiquement les paramètres du module le plus performant et les répliquer sur d’autres modules pour homogénéiser l’excellence à travers toute l’usine.
Pour SEW Usocome, le soutien de l’écosystème structuré par Enact va au-delà de la pure technologie. Le cluster offre également la possibilité d’intégrer des expertises en sciences humaines pour capter le « savoir » informel des collaborateurs et l’intégrer dans les modèles algorithmiques.
Cette approche holistique le confirme : pour un industriel de cette envergure, l’IA n’est plus une option, mais une condition sine qua non pour rester compétitif. L’expérience de SEW Usocome démontre que si la technologie est la clé de la performance, elle soulève un défi tout aussi stratégique : celui des compétences. Car pour piloter ces usines intelligentes, il faut des talents capables de les comprendre, de les faire évoluer et de les maîtriser. C’est précisément l’enjeu de la formation, pilier essentiel de la vision du Grand Est.
Chapitre 4 : Préparer l’avenir : former les talents et définir les spécialités de demain
Le défi de la formation : au-delà de la technique, cultiver l’esprit critique
L’intelligence artificielle est avant tout une affaire de talents. Conscient que la technologie sans les compétences pour la maîtriser est une coquille vide, Enact place la formation au cœur de sa stratégie. L’ambition n’est pas seulement de former plus de spécialistes pour répondre à la demande pressante des entreprises, mais de transformer en profondeur l’approche même de l’apprentissage.
La vision, portée par Hélène Boulanger, va bien au-delà des seuls cursus d’informatique. L’enjeu est de diffuser une culture de l’IA à travers l’ensemble des disciplines. Qu’ils soient en gestion, en chimie, en droit ou en santé, tous les futurs professionnels seront confrontés à cette technologie. Il est donc crucial d’acculturer largement et d’armer chaque étudiant de la compétence la plus essentielle face aux IA génératives : l’esprit critique. Il s’agit d’apprendre à questionner leurs productions, à évaluer leur pertinence, à déceler les biais et à ne jamais les accepter aveuglément. L’université de Lorraine et ses partenaires s’engagent ainsi à faire évoluer l’ensemble de leur offre de formation pour intégrer cette nouvelle donne.
Enfin, Hélène Boulanger met en garde contre une vision court-termiste de l’IA, perçue uniquement comme un outil de réduction des coûts. Elle interroge avec lucidité le chef d’entreprise qui remplacerait ses juniors par une IA : « comment va-t-il former ses seniors ensuite ? ». Enact promeut ainsi une vision où l’IA est un investissement stratégique dans le capital humain, un outil pour augmenter les compétences et réinventer les parcours professionnels. La véritable question n’est pas de savoir si une machine peut faire le travail, mais comment elle peut aider les humains à mieux le faire.
Les trois piliers de l’excellence IA du Grand Est
Former des talents agiles et critiques est une chose, mais pour qu’ils puissent innover, il leur faut un terrain de jeu défini et ambitieux. Enact ne tire pas dans toutes les directions ; sa force réside dans une spécialisation chirurgicale, bâtie sur les expertises reconnues du territoire. Comme l’a précisé Emmanuel Vincent, le pôle concentre ses efforts sur trois domaines pour asseoir sa singularité.
- Le traitement du langage et l’IA générative multimodale : C’est le cœur technologique du projet. Le Grand Est possède une expertise historique dans l’analyse des données textuelles, orales, mais aussi visuelles (gestes, expressions du visage). C’est sur ce socle que le cluster ambitionne de développer des technologies d’IA générative souveraines, déployables ensuite dans tous les secteurs.
- La nouvelle ère industrielle : Plutôt que de segmenter les cas d’usage, Enact embrasse la totalité de la chaîne de valeur. Des algorithmes sont conçus pour accélérer la découverte scientifique (nouveaux matériaux, médicaments), optimiser en temps réel la production et la logistique, et intégrer intelligemment le feedback des clients pour une amélioration continue des produits.
- La santé et le parcours patient : En s’appuyant sur les hôpitaux universitaires, Enact développe une IA centrée sur le suivi complet du patient. De la détection des premiers symptômes jusqu’au retour à domicile, l’objectif est d’offrir un accompagnement personnalisé et prédictif, pour une médecine plus efficace et humaine.
À ces piliers s’ajoute un puissant accélérateur : la dimension transfrontalière. Forte de sa position géographique, la région amplifie ses collaborations avec ses voisins, notamment l’Allemagne, pour créer un écosystème de recherche et d’entrepreneuriat qui dépasse les frontières, ouvrant ainsi un marché plus vaste et des perspectives d’innovation enrichies par la diversité culturelle.
L’avenir se construit maintenant : le Grand Est, un terrain fertile pour l’IA
Le Grand Est refuse un rôle de simple spectateur de l’intelligence artificielle pour se positionner en véritable architecte d’une IA souveraine et européenne. Cette ambition n’est pas un vœu pieux, mais une stratégie structurée incarnée par une initiative maîtresse : le cluster Enact.
Ce projet tire sa force d’un modèle collaboratif puissant, unissant universités, chercheurs et industriels pour devenir un guichet unique et opérationnel pour le monde économique. Il propose des bénéfices concrets et accessibles aux entreprises, avec des axes d’excellence bien définis — du traitement du langage à l’industrie 4.0, en passant par la santé intelligente — qui complètent la boucle entre l’innovation fondamentale et les talents de demain.
Cette transformation n’est pas une promesse lointaine ; elle est en cours et la porte est ouverte. Pour les décideurs, innovateurs et experts du territoire, le momentum pour s’embarquer dans cette dynamique est idéal. L’écosystème Enact vous offre aujourd’hui le cadre pour passer de l’idée à la solution.
La question posée par Valérie Debord, « Dans 2 ans, sur quel projet on gagne ensemble ? », est une invitation directe. Comment votre entreprise compte-t-elle y répondre ? Partagez vos projets et ambitions en commentaire.
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